Cette décision de première instance intervient près de cinq ans après le drame et engage la responsabilité de l’entreprise, à qui il est reproché de ne pas avoir agi malgré un droit d’alerte déclenché par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Un drame sur le lieu de travail
Le 5 décembre 2019, Régis Guhl, technicien de maintenance âgé de 43 ans, a mis fin à ses jours en se jetant du toit-terrasse du siège des Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA), situé rue de la Nuée-Bleue à Strasbourg, dans le Bas-Rhin.
Le drame s’est déroulé en pleine matinée, sur le lieu même de son activité professionnelle. Le suicide est intervenu dans un contexte de réorganisation interne, lié au rapprochement entre les rédactions des DNA et de L’Alsace, deux journaux régionaux appartenant au groupe de presse Ebra.
Un droit d’alerte ignoré
Dès juin 2019, le CHSCT des DNA avait déclenché un droit d’alerte. L’instance mettait en garde contre les risques psychosociaux liés à la réorganisation des services et à la pression croissante sur les équipes. Cependant, selon la décision judiciaire rendue publique, aucune mesure concrète n’avait été prise par la direction de l’entreprise pour répondre à ces alertes.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg a considéré que cette inaction constituait une « faute inexcusable » au sens du droit du travail. Ce terme désigne une situation dans laquelle un employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger encouru par ses salariés, sans pour autant mettre en œuvre les actions nécessaires pour y remédier.
Des responsabilités contestées
L’avocat des DNA, qui n’a pas souhaité que son identité apparaisse, a déclaré que « ce droit d’alerte ne concernait pas particulièrement M. Guhl » et rappelé que « Aux DNA, il y avait des problèmes, comme dans beaucoup d’entreprises ». L’Inspection du travail, saisie après les faits, n’avait pas établi de lien direct entre le contexte professionnel de l’époque et le suicide de Régis Guhl.
De son côté, l’avocate de la famille du défunt, Me Angélique Cové, évoque un climat professionnel dégradé, marqué notamment par une réduction des effectifs, une modification des horaires de travail et un sentiment d’iniquité vécu par plusieurs salariés. Ces éléments ont été pris en compte par le tribunal dans l’évaluation du préjudice.
Une condamnation financière de l’entreprise
La justice a condamné la société éditrice des Dernières Nouvelles d’Alsace à assumer financièrement les conséquences du drame. Elle devra notamment prendre en charge la majoration de la rente versée à la veuve et à la fille de Régis Guhl, en plus de leur verser chacune 30 000 euros pour préjudice moral. Les frais d’avocat de la famille seront également couverts par l’employeur.
L’entreprise s’est réservée la possibilité d’interjeter appel de cette décision de première instance. Aucune déclaration officielle n’a été publiée par la direction à ce stade.